Entretien avec Gaëlle Roffler, Christelle Caillot et Célia Ènoc, luhières de l'APLG
Portraits de luthières, la guitare au féminin
par Jacques Carbonneaux, 2021
Avant-propos
LA PARITÉ ENTRE FEMMES ET HOMMES DANS LA LUTHERIE
Seulement 4 % des luthiers de l’APLG sont des femmes, contre 9 % au GLAAF (Groupement des Luthiers et Archetiers d’Art de France), 25 % à l’ALADFI (Association des Luthiers
et Archetiers pour le Développement de la Facture Instrumentale du quatuor)
et 30 % à l’UNFI (Union Nationale de la Facture Instrumentale).
20 % des archetiers fabricants sont des femmes et sur 5 archetiers baroques, 4 sont des femmes.
La facture instrumentale artisanale a longtemps été dominée par la gent masculine et il est difficile de dire quelle a été la première femme à exercer ce métier et en quelle année. Toujours est-il que cette tendance s’est inversée à la fin du XXème siècle, tout d’abord dans le quatuor puis dans la guitare, dans le piano et dans les instruments à vent. Même si la parité est loin d’être atteinte, les femmes sont de plus en plus présentes dans les centres de formation des métiers de la facture instrumentale et dans les ateliers de lutherie.
Nous avons souhaité vous présenter trois d’entre elles : Gaëlle Roffler, Christelle Caillot et Célia Énoc qui ont réalisé ensemble la guitare challenge#2 de l’APLG.
La guitare challenge de l’APLG
Créée en 2013, l’Association Professionnelle des Luthiers en Guitares et autres cordes pincées a décidé en 2019 de fabriquer collégialement une guitare pour financer les actions de l’association. Premier lot d’une tombola traditionnelle - mais aussi via internet - cette guitare nommée guitare Challenge, a été et sera exposée lors des différents salons d’expositions en France pour être enfin tirée au sort lors du prochain festival de la guitare d’Issoudun fin octobre/début novembre 2022. Une partie de la somme récoltée servira à financer le projet de plantation d’arbres que l’APLG a mis en place depuis un an en collaboration avec l’association One Tree Planted. Pour la 2ème édition de ce challenge, l’APLG a souhaité mettre à l’honneur les 3 luthières de l’association.
Pouvez-vous nous raconter comment et à quelle date a débuté votre carrière et quels types de guitares vous fabriquez ?
Gaëlle Roffler : Je fabrique des guitares classiques. Je suis rentrée dans le monde de la lutherie en février 1998, il y avait Martine Montassier à cette époque. Quand j’ai ouvert mon atelier en 2005, j’étais la seule femme spécialisée dans la guitare classique en France et qui exposait sur des salons de lutherie. Pour que je puisse vendre mes instruments, on m’a demandé l’excellence pour que les gens aient confiance. Alors c’est ce que j’ai fait, j’ai joué la différence sur l’esthétique visuelle et sonore...
Christelle Caillot : Je me suis installée en Andalousie en 2005 après une école de lutherie au CMB en Flandre. J’ai tout de suite commencé à fabriquer des guitares manouches et quelques guitares classiques aussi à l’époque. Puis, je suis rentrée à Paris où je suis encore actuelle- ment et là, j’ai étendu ma gamme en fabriquant en plus des guitares électriques et surtout j’ai commencé à faire des réparations et un peu plus tard de la restauration d’instruments anciens.
Célia Énoc : Contre toute attente, j’ai débuté la lutherie en 2004 grâce à une femme ! Dans son atelier du quatuor à cordes, la femme avait une place plus naturelle que dans le monde de la guitare. Elle m’a permis de fabriquer mes premiers outils et de travailler sur les réparations. Ensuite, j’ai travaillé avec le luthier guitare Stefan Barrillon et fabriqué mes propres modèles.
Maintenant je fabrique essentiellement des guitares acoustiques à cordes acier et des électriques.
Depuis votre installation, avez-vous eu des remarques désobligeantes du fait que vous êtes une femme dans ce métier longtemps dominé par les hommes ?
Gaëlle Roffler : Au tout début seulement...
Christelle Caillot : Je n’ai jamais eu de problème en tant que femme luthière. Au contraire, mes clients aiment bien la touche féminine et plus perfectionniste (selon eux). J’ai juste senti dans le monde manouche, un univers très machiste, une petite réticence de certains guitaristes mais en fait, ça ne m’a jamais posé de problème: ça fait le tri ! De même quand certains nouveaux clients arrivent à l’atelier, s’il y a un homme d’un certain âge avec moi, il est arrivé plusieurs fois qu’ils s’adressent à lui en pensant que c’était lui le luthier.
Ça fait toujours rire tout le monde...
Célia Énoc : Ah ah oui ! Dans le genre : « Je ne pensais pas qu’une femme pouvait bricoler ! » ou bien parfois, certains ont pensé tout haut que j’étais la femme du patron ou la secrétaire... Mais j’ai eu aussi énormément de personnes respectueuses qui m’ont encouragé par leur fidélité.
Comment vous est venue l’idée de ce modèle en particulier qui est assez original ?
Gaëlle Roffler : Sachant que nous étions trois luthières dans des domaines de compétence différents : Christelle jazz manouche, Célia folk et moi corde nylon, j’ai proposé que l’on fabrique une guitare jazz à cordes nylon.
Christelle Caillot : L’idée du modèle nous est venue en associant le savoir-faire des 3 luthières : le monde de la lutherie classique, folk et manouche. Donc un barrage classique, une forme folk plus petite, un pan coupé et une rosace manouche.
Célia Énoc : Étant spécialisée cordes acier, j’avais envie d’un modèle cordes nylon pour explorer cet univers. En discutant avec Gaëlle et Christelle, on en est venu à imaginer une guitare jazz hybride qui puisse naviguer entre les mondes musicaux.
Comment s’est déroulée la fabrication de cette guitare entre vous, qui a fait quoi ?
Gaëlle Roffler : Nous nous sommes réunies pour élaborer le projet et définir qui ferait quoi. Christelle s’est donc occupée du manche et de la touche. Célia a monté les éclisses, réalisé la fini- tion huilée et la fileterie. De mon côté, j’ai réalisé tous les plans, la table d’harmonie, le chevalet, plié les éclisses, fabriqué le fond, fermé la caisse avec Célia, fretté la touche, monté le manche avec Christelle, collé le chevalet, fabriqué les sillets et monté enfin la guitare.
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