Entretien avec Jérôme Wiss
Photos : © E.Mattler et © A.Detienne |
par Sylvie Irvoas, le 16 juin 2023
Ton parcours et pourquoi la fabrication des cuivres ?
Je suis tombé dans la musique dès mon plus jeune âge en étudiant l’euphonium dans mon village natal puis aux conservatoires de Mulhouse et Strasbourg. En parallèle de la musique, j’ai fait un apprentissage en boulangerie ou j’ai façonné des baguettes pendant quelques années. Bien qu’ayant déjà un emploi, je souhaitais persévérer dans la musique pour devenir musicien professionnel. J’ai eu la chance de faire plusieurs fois des séries d’orchestre mais ce n’était pas suffisant pour en vivre correctement, et l’enseignement musical ne m’intéressait pas. Après mure réflexion, je me suis naturellement orienté vers la facture instrumentale.
J’ai suivi le cursus de formation à l’ITEMM en 2009. A cette époque j’avais fait le constat qu’il y avait peu de magasins spécialisés en France pour les cuivres. J’ai bénéficié d’un stage chez le fabricant Miraphone en Allemagne lors de mon CAP. J’ai ensuite fait mon BMA en alternance à L’Olifant à Paris, et fini mes études par un DMA en alternance chez Antoine Courtois à Amboise.
Je me suis installé à mon compte en décembre 2015, peu après la fermeture de l’usine Courtois en France.
Qu’est ce qui caractérise ta fabrication, ta signature de luthier ?
J’ai commencé par fabriquer des trompettes, car cela nécessite un plus petit outillage, même si le milieu des trompettistes est très complexe et diversifié.
Je crée, conçois, fabrique et joue tous les instruments qui sortent de mon atelier.
Je démarre toujours par une feuille blanche, je recherche tout d’abord une esthétique de son. La conception et la technique en découlent ensuite. Pour la trompette par exemple, j’ai recherché un son entre celui du cornet et du bugle. La trompette standard actuelle avec un son très brillant ne me plait pas trop, d’où ce choix d’esthétique sonore.
Je conçois et réalise quasiment toutes les pièces des instruments moi-même. Vous pouvez le constater sur les instruments produits, mon système de piston est unique et reconnaissable parmi les autres fabricants. La seule pièce que je ne fabrique pas est le pavillon, car bien qu’ayant travaillé à la chaudronnerie chez Courtois, je ne me sens pas assez légitime pour le moment de fabriquer des pavillons de haute qualité. Je préfère donc faire appel à un confrère de Markneukirchen qui me fabrique des pavillons sur mesure selon mes plans et mes mandrins.
Toute la conception et la réalisation est faite dans mon atelier avec l’usage de Solidworks et de diverses machines CNC et imprimantes 3d.
Ce qui m’intéresse, c’est de créer. Je réfléchis en permanence et j’ai beaucoup de projets en réserve. Je viens de finir cet été ma première commande de 8 euphoniums qui partiront pour des grands orchestres militaires français. Je ne suis pas intéressé par la fabrication de très grande série, je suis quelqu’un qui se lasse assez rapidement et j’ai toujours de nombreux projets en cours.
A côté de la fabrication d’instruments, je développe aussi plusieurs gammes d’embouchures, essentiellement pour les cuivres graves. Cela représente une grande partie des ventes mais les trompettes, euphoniums, trombones, ophicléides et instruments d’ordonnance sont également demandés. Ma génération de musiciens cuivre a une bonne connaissance du milieu et nous nous connaissons tous. Certaines années les ¾ de mon chiffre d’affaires se font avec des commandes venant de l’étranger.
Une de mes fiertés est d’avoir contribué au renouveau de cet instrument d’orchestre qu’est l’ophicléide. C’est en quelque sorte l’ancêtre de l’euphonium et du saxophone. J’ai commencé à pratiquer l’ophicléide en tant que musicien lors de mes études à l’ITEMM. Je me suis alors rendu compte que très peu de personnes s’occupaient de cet instrument. J’ai commencé par les restaurer puis très vite, j’ai eu envie d’en fabriquer.
Il n’y avait plus de fabricants, et peu de réparateurs s’adonnent à la réfection de ces instruments dont il manque souvent un grand nombre de pièces. Ces dernières années l’ophicléide a retrouvé une renommée mondiale et est joué par de nombreux musiciens et orchestres professionnels.
Pour l’avenir, outre continuer à développer mes modèles, j’ai pour projet un sousaphone en fibres de carbone dont les premières parties sont en cours de fabrication, un euphonium double et également un instrument de conception totalement nouvelle.
La création, la recherche, et l’innovation font partie de mon ADN.