Entretien avec Stéphane Gaudet - l’Atelier du 104
Christophe Montagne et Stéphane Gaudet - Photo © Ingrid Pico-Heide |
par Sylvie Irvoas, le 23 juin 2023
Ton parcours et pourquoi la fabrication des cuivres ?
L’histoire de l’atelier est à la fois la poursuite d’une vocation familiale de fabrication des cuivres et également une réorganisation artisanale.
En 2016, suite à la fermeture de l’usine Antoine Courtois d’Amboise, nous avons décidé avec Jean-Christophe Montagne de développer une activité multiple de réparation, de fabrication et de sous-traitance auprès des autres luthiers. Notre savoir-faire s’est même distingué auprès des activités d’œnologie de la région et nous sommes passés maitres dans la fabrication de pièces de chaudronnerie pour la fabrication d’ébulliomètres.
L’atelier du 104 fait partie de la famille des luthiers, il y a aussi des assembleurs et des fabricants. En Allemagne la reconnaissance du travail de la main est plus fort qu’en France. C’est culturel, ainsi les artisans allemands ont capté toute la sous-traitance car ils ont pris soin de garder leurs traditions de luthiers au sein de petite structures.
Qu’est ce qui caractérise ta signature de luthier ?
Entre 2008 et 2014 je travaillais au développement des instruments Antoine Courtois. Il a fallu se réinventer et j’ai commencé par imaginer un nouveau trombone basse. Les marchés du saxhorn et du bugle me semblaient trop petits pour démarrer l’atelier et l’investissement en outillage trop important. J’ai abordé le trombone moderne, réinventé une mécanique et formés à la fabrication de trombones baroques nous avons avec Christophe fabriqué nos propres coulisses.
Je me suis réapproprié la signature Gaudet pour ne pas dire la marque, créée par mon grand-père Paul Gaudet. La famille Gaudet c’est plus d’un siècle au service de la musique et des musiciens.
Spécialisés dans la fabrication des trombones, nous avons maintenant plusieurs modèles de trombones basses, ténors et de de trombones petites perces complets.
Notre objectif est de fabriquer de plus en plus d’instruments pour sortir du statut de micro-entreprise.
Comment se passe ta collaboration avec les musiciens ?
Mon approche s’est construite par étape, l’esthétique dite à la française est venue après. J’ai commencé par chercher des sons et des caractéristiques différentes de celles des instruments Courtois. Je faisais essayer aux musiciens, leur réponse était mitigée au début. Il a fallu environ 18 mois pour proposer un trombone ténor correct. Les échanges étaient vraiment intéressants. Il a fallu aussi affirmer le sérieux et donner la vision de la marque. Il faut arbitrer entre des perceptions comme une sonorité trop claire, une réponse pas assez effective, des comparaisons avec les autres marques et modèles...
Chaque tentative a été un enseignement. C’est cela le métier de luthier et d’artisan, toujours revenir sur l’ouvrage. Finalement je me suis fixé sur une acoustique originale mais plus proche de celle des trombones Bach ou Courtois. Un inconvénient est toujours contre balancé par un avantage que n’ont pas les autres.
Les paramètres réglables sont devenus des options. Les instruments que je fabrique sont personnalisables à l’infini, donc différents les uns des autres. Je suis trompettiste et pour moi la meilleure trompette du monde est celle fabriquée par Bach, mais le son sera unique pour chaque instrument. Les méthodes et moyens de fabrication sont différents d’une marque à l’autre, en dépit de tous les calculs mathématiques des acousticiens, le son sera différent, et la main façonne et laisse son empreinte.
Peut-on parler de renouveau de la facture des cuivres en France ?
On peut parler de la fin de la fabrication française en général mais pas encore de renouveau. Par exemple, il n’y a pour ainsi dire plus de fabrication de flûte en France. La première manufacture de cuivres français COUESNON vient de fermer en Juin 2023, c’est très triste.
Nous sommes un petit milieu et nous nous entraidons du mieux possible.
Mon objectif est de poursuivre mes recherches et d’augmenter la part de fabrication. Les grands groupes comme Buffet Crampon sont calibrés pour faire des quantités, pas l’Atelier du 104.
J’ai en réserve plein de projets d’innovation : embouchures, trombone contre basse, altos, bugles, trompettes et également des instruments à clés.
Je suis en recherche d’investissements pour me développer. Je suis capable de fabriquer des pavillons, mais pour les mettre au point, je dois m’y consacrer entièrement pendant deux mois.
J’ai besoin de recruter et de former. En France on valorise plus le management industriel que le savoir-faire manuel. Avant toute chose, il faut avoir un métier dans les mains.